« C''était un après-midi d''été de la fin des années soixante-dix, dans le théâtre à ciel ouvert de Petit-Couronne. Je venais de rencontrer Anne-Marie, qui, dans Le Cid, interprétait la fière Infante. Pendant les répétitions et les ultimes réglages sous un soleil déclinant, une ombre vint s''asseoir à mes côtés, sur les gradins, et en silence me prit la main. C''était Anne Philipe, dont je ne saurai jamais si elle venait, ce jour-là, applaudir sa prometteuse fille de vingt ans ou se souvenir de l''immortel Rodrigue d''Avignon. Peut-être n''ai-je écrit Théâtre intime que pour répondre, longtemps après, à cette question restée en suspens. Qui jouait sur scène, ou plutôt qui voyait-on jouer ? Quel cœur battait sous cette longue robe d''Infante : une fille sans père ou la fille d''un mythe ? La jeune femme que j''aimais ou celle qui, dans la lumière des projecteurs, déjà ne m''appartenait plus ? Dans les coulisse de ce Théâtre intime, où le rideau s''ouvre sur L''Annonce faite à Marie et tombe sur L''Alouette, il y a aussi trois enfants qui sourient. Ils appartiennent à la première génération pour laquelle le père tutélaire d''Anne-Marie est déjà une image floue, une légende à la dérive, un Cid qui lentement s''éloigne de la mémoire collective. J''ai voulu, à ma façon, les leur restituer. » Jérôme Garcin.