La postérité retient parfois de Péguy lefficacité du polémiste, le prophétisme du philosophe de lHistoire, le moraliste aigu, lanarchiste irréductible ou le socialiste humaniste et, dune manière peu discutée, le patriote martyr. Mais le poète, le connaît-on vraiment?
La répétition est larme, redoutable, de sa versification. Elle ne produit pas de radotage. Cest le martèlement dune voix adressée au public que Péguy entend, en quelque sorte, réinventer; et cest sans doute aussi la marque dune scansion, qui rejoint la part doralité consubstantielle à presque toute poésie. Henri Meschonnic écrivait de celle de Péguy quelle était une «épopée de la voix». Elle est simple, sans affectation. Si Du Bellay et Corneille sont des modèles, Villon nest jamais très loin.
Traditionnel, Péguy? Les étiquettes lui vont mal. Dramaturge défiant les normes dès sa Jeanne dArc de 1897, dont lhéroïne est une nouvelle figure dAntigone ; vers-libriste, mais créateur dinnombrables alexandrins ; poète de la déchirure ; sonnettiste, mais artisan aussi de nouvelles formes: il nest quà considérer leffet hypnotique que produisent les enchaînements de quatrains ou de tercets pour saisir la part très contemporaine de son art. Luvre de Péguy a souffert de son destin paradoxal sous lOccupation. Indexée par la Révolution nationale, revendiquée par la Résistance Mais sa poésie renaît aujourdhui, dépoussiérée, et dans une nécessité plus vive. Il est temps de redécouvrir, via une édition qui en restitue enfin la trajectoire, sa parole juste.