" A ses débuts, un couple se vit comme stable et durable. Les partenaires ne guettent aucun changement, sauf, bien sûr, les tempêtes et ravages de la passion, inopinée et brutale. Ce n'est pas de passion qu'il est question ici, mais de l'ennui - le plus subtil des périls. Je me disais heureux, comme Reine se disait heureuse : pourquoi taquiner ces sentiments-là ? Depuis quatre ans, la bataille où se débat Reine m'a laissé loisir de me poser des questions. Je pense avoir compris combien j'avais laissé Reine s'appauvrir.
« Je voudrais exprimer, et si possible illustrer cette affirmation : les maisons sont les lieux du monde (de notre petit monde) où prospèrent le plus somptueusement les nourritures et les poisons de l'amour. Sa pompe et ses indignités. Les maisons sont des couveuses à regrets, remords, amertumes, autant que des refuges pour les passions de l'amour. (J'appelle passions de l'amour les flambées aussi bien que les braises, les flammes claires, la cendre.) Les maisons sont les formidables cachettes où entreposer la vraie vie. » François Nourissier.
« La maladie n'est pas allégorique. Elle est mon sujet : je la situe, la décris. Ce que l'on pourrait appeler la peste-Camus n'est pas mon propos. Je rêve d'écrire une Description de la maladie de P. à la façon de la Description de l'Égypte que publia Vivant Denon en 1809. C'est une forêt, la maladie ! un labyrinthe, une maison inconnue qu'on visite dans la nuit. Tout ce qui s'y passe ! Les mensonges à dévoiler, les vérités à contourner. Regarde où tu marches. Je ne cherche pas à dire cela en disant ceci, ni ceci en disant cela, je vous raconte le paysage, droit devant, j'essaie de n'en pas détourner les yeux, alors que le conseil le plus souvent donné, avec une insistance grondeuse, bourrue, est justement de me carapater, de dérober (nul cavalier ne te ramènera sur l'obstacle), pas de dignité ! pas de grands airs, fais semblant de ne pas les voir, les garces postées là, à t'attendre, en blouses et bonnets, qui te disent : "Un peu engourdi, hein ? ce matin..." »
« En somme, Brastilava est un exercice de mémoire. J'ai passé des heures, en 1986, à la recherche de lieux que la ville semblait avoir escamotés. Où est la vaste cour, comme d'une caserne ou d'un monastère, décorée de ce pavillon rococo devant lequel était dressée, pour l'orchestre, une estrade ? Le béton communiste avait recouvert mes souvenirs en même temps qu'un quartier de la ville : l'ancien ghetto, les abords du pont sur le Danube. Abandonné à l'incertitude par la défaillance d'une mémoire plus usée que je ne le croyais, je compris comment, à partir des mêmes faits, avérés ou réinventés, on peut glisser au roman, à la confidence, à la nostalgie, qui sont des degrés de l'oubli. "Exercice de mémoire" : expression trop scolaire. Comme d'autres de mes livres, Bratislava est un aveu, un compromis entre mes peurs et mes chansons, un cabotage au long de mon littoral. Mais quelle mer le baigne-t-elle ? À quelle heure sont attendues les grandes marées, prévus les grands départs ? Serai-je prêt ? » François Nourissier.
« Roman volé est le récit d'un fait divers. C'est aussi une réflexion sur la possession, la dépossession, et la soustraction générale qui clôt toute vie. Une rupture du cours des choses produit chez le narrateur de longs échos : un vol. Quoi de plus banal, pourtant, qu'un vol ? À l'arraché, à la tire, à la roulotte, un casse, un saucissonnage : le vocabulaire est riche. Que nous vole-t-on, à ma femme et à moi, ce soir d'été ? Argent, colliers, bagues, passeports, clés de maison et de voiture, différents joujoux bancaires - panique ! Sans ses grisgris, le roitelet d'Occident est nu. Mais pourquoi, dans l'aérogare en train de glisser à la nuit, cet excès de désarroi ? Parce que l'on a aussi volé à l'écrivain son manuscrit en cours d'achèvement. Pas de double ? Pas de photocopie, de "mémoire", de "disquette" ? Non, rien. Il n'est plus personne. Aussi désarmé et gueux que le clochard endormi sous ses emballages... » François Nourissier.