Il se trouve qu'un été on a l'envie de voir les fresques de Piero della Francesca en Toscane, il se trouve qu'on les voit à l'heure du déjeuner et que cette coïncidence fait se frotter ce que l'on voit et ce que l'on mange ainsi que la mémoire de déjeuners amoureux. Ce Manger avec Piero est suivi d'un Risotto à la fraise dont la vanité réveille la simplicité des risotti de l'enfance, ceux de la grand-mère de la narratrice, grand-mère italienne émigrée en France dans une petite ville industrielle de Savoie.
Nous accomplissons des gestes sans y penser. Le geste de se parfumer est de ceux-là. Et pourtant ces minuscules aspersions, leur répétition, n'épuisent pas leur secret. Sent-bon de l'enfance pour expurger les mauvais rêves, effacer les fièvres, talisman pour se produire dans le monde, viatique, messager amoureux... Agrippés aux crinières des chevaux chers à Guerlain, nous galopons dans les odeurs, dans leur assemblage savant, mystérieux, nous n'hésitions pas à piétiner les fleurs, leur saccage nous soûle, nous renversons des flacons, les effluves répandus nous font perdre la tête, nous sommes impatients d'aller vers le printemps, non pas l'éternel printemps, mais le printemps où tout se joue et s'invente à nouveau, inentamé, inconnu, le printemps de Guerlain et le nôtre, lutinant tendrement de concert.